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mercredi 23 janvier 2008

Et Jules Ferry dans tous ça...


Jules Ferry, né le 5 avril 1832 à Saint-Dié (Vosges) et mort le 17 mars 1893 à Paris, est un homme politique français.




Jules Francois Camille Ferry est le fils de Charles-Edouard Ferry, avocat, et d'Adèle Jamelot. D'abord élève au collège de Saint-Dié jusqu'en 1846, puis au lycée impérial de Strasbourg (actuellement lycée Fustel de Coulanges), il est ensuite étudiant à la faculté de droit de Paris. Il devient avocat réputé, passionné par la politique. Il est vite spécialisé dans la défense juridique des républicains. Il collabore régulièrement aux journaux suivants : La Presse, Le Courrier de Paris, Le Temps.
Opposant actif au Second Empire, il connaît la notoriété en publiant en 1868 une brochure accusatrice contre le préfet de la Seine Les Comptes fantastiques d'Haussmann. Il est élu député républicain de la 6e circonscription de Paris en mai 1869.
Homme politique considéré comme un des pères fondateurs de l'identité républicaine en France.

Le parcours républicain


Le 4 septembre 1870, il devient membre du gouvernement de la Défense nationale. Maire de Paris du 16 novembre 1870 au 18 mars 1871[1], il eut la charge d'assurer le ravitaillement de la capitale assiégée par l'armée prussienne. Les restrictions alimentaires qu'il fallut imposer lui valent le surnom de « Ferry-Famine ». Pendant l'insurrection de la Commune de Paris, il fuit de la ville dès le premier jour et est un des partisans anticommunards.
Aux élections du 8 février 1871, il se fait élire représentant des Vosges à l'Assemblée nationale et sera réélu député en 1876, siège qu'il conservera jusqu'en 1889.

Il est nommé par Adolphe Thiers ambassadeur à Athènes (1872-1873). De retour, il devient l'un des chefs de l'opposition républicaine jusqu'à l'élection de Jules Grévy à la présidence.

Le franc-maçon


Le 8 juillet 1875, les francs-maçons donnent une grande solennité à sa réception par le Grand Orient de France (loge « La Clémente Amitié »). Il y est reçu en même temps que Littré et que Grégoire Wyrouboff. Une grande publicité est faite au discours que Littré prononce à cette occasion, et la presse en donne un large écho. Par la suite, Ferry appartiendra à la loge « Alsace-Lorraine ».

Le défenseur de l'école laïque


Nommé ministre de l'Instruction publique du 4 février 1879 au 23 septembre 1880 dans le cabinet Waddington, il attache son nom aux lois scolaires. Ses premières mesures sont :
collation des grades universitaires retirée à l'enseignement privé (12/03/1880)
dispersion des congrégations religieuses non autorisées (29/03/1880)
Président du Conseil du 23 septembre 1880 au 10 novembre 1881, il poursuit la mise en place des lois sur l'enseignement :
gratuité de l'enseignement primaire (16 juin 1881)
extension aux jeunes filles du bénéfice de l'enseignement secondaire d'État (21/12/1881)
De nouveau ministre de l'Instruction du 31 janvier au 29 juillet 1882 (Ministère Freycinet), il continue son œuvre scolaire :
loi relative à l'obligation et à la laïcité de l'enseignement (28/03/1882). Cette loi est une suite logique de celle portant sur l'obligation scolaire. Il est à noter que c'est une obligation d'instruction et non de scolarisation, l'art 4 indiquant que l'instruction peut être donnée dans les établissements d'instruction, les écoles publiques ou libres ou dans les familles.
création d'une École Normale féminine à Sèvres et d'une agrégation féminine, 9 août 1879.


Extrait d’une lettre aux instituteurs


«Monsieur l'Instituteur,
L'année scolaire qui vient de s'ouvrir sera la seconde année d'application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues, après la première expérience que vous venez de faire du régime nouveau. Des diverses obligations qu'il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c'est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l'éducation morale et l'instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l'objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettrez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer, par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir.
La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d'une part, elle met en dehors du programme obligatoire l'enseignement de tout dogme particulier ; d'autre part, elle y place au premier rang l'enseignement moral et civique. L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'Eglise, l'instruction morale à l'école. Le législateur n'a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l'école de l'Eglise, d'assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l'aveu de tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n'hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l'éducation, c'est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l'enseignement religieux, on n'a pas songé à vous décharger de l'enseignement moral : c'eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l'instituteur, en même temps qu'il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. [...] »

Le partisan de l'expansion coloniale


Parallèlement, Jules Ferry se montre un partisan actif voire zélé de l'expansion coloniale française : Tunisie dont il obtient le protectorat le 12 mai 1881 par le traité du Bardo, Madagascar, il lance l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza à la conquête du Congo. Ce dernier dossier lui sera fatal lors de sa seconde présidence du Conseil commencée le 21 février 1883. Il s'était d'ailleurs réservé le portefeuille des Affaires étrangères. Les conservateurs, comme Adolphe Thiers, sont opposés à la colonisation, qu'ils accusent de détourner hors du territoire les investissements, tandis que les progressistes y sont favorables pour des questions idéalistes. Mais la gauche républicaine de Georges Clemenceau y est opposée également parce que les aventures colonialistes détournent l'attention des provinces perdues d'Alsace et de Lorraine. Les positions s'inverseront diamétralement en trois ou quatre générations.

Portrait par Léon Bonnat


Ayant obtenu d'un vote de la Chambre les crédits nécessaires à la conquête du Tonkin, il provoque une extension du conflit à la Chine. L'annonce de l'évacuation de Lạng Sơn, qui lui vaudra le surnom de « Ferry-Tonkin », déclenche une violente opposition parlementaire et provoque sa chute le 30 mars 1885. Il connaît alors une vague d'impopularité en France.

Extrait des débats du 28 et du 30 juillet 1885


Jules Ferry prononce un discours dont Charles-André Julien a pu dire qu'il était « le premier manifeste impérialiste qui ait été porté à la Tribune ».



Le thème de Ferry
« Il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également aborder (...) : c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (...) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... [Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême-gauche.] Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »
La réponse de Georges Clemenceau, le 30 juillet 1885
« Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C'est bientôt dit. Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure ! (...)
C'est le génie de la race française que d'avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d'avoir compris que le problème de la civilisation était d'éliminer la violence des rapports des hommes entre eux dans une même société et de tendre à éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. (...) Regardez l'histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l'histoire de votre civilisation ! (...) Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l'Européen apporte avec lui : de l'alcool, de l'opium qu'il répand, qu'il impose s'il lui plaît. Et c'est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l'Homme !
Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes ici à nous lever d'un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu'à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie. »
Le point de vue de Clemenceau est propre à cette époque, bien que Victor Hugo ait exprimé un souci voisin ; si les avis diffèrent quant à la colonisation pour des raisons économiques (la colonisation rapporte-elle ou non de l'argent ? Faut-il financer des guerres pour des territoires africains — ou asiatiques ? Ne vaut-il pas mieux investir en France au lieu de gaspiller notre argent chez des peuples n'ayant rien fait pour nous quand ils étaient riches et nous pauvres ?), le débat sur la supériorité de la civilisation des Lumières ou sur les droits de l'homme, n'auront lieu que plus tard, après la Grande Guerre principalement. En 1885, la génétique n'existe pas encore, la statistique est embryonnaire et la notion de race reste floue. Les scientifiques constatent simplement que les populations européennes ont atteint un degré de développement encore inconnu des autres. Clemenceau, perspicace, a compris que ces théories servent de prétexte à justifier une politique propice au pillage qui va donc rapidement se montrer contraire aux droits de l'homme.
Peu d'hommes politiques de l'époque, quel que soit leur bord, remettent en question l'idée de supériorité européenne (l'Amérique n'en étant vue que comme une excroissance). La droite, illustrée par Thiers, réclame que l'on réserve l'argent épargné par les Français à des travaux de développement de la France. La gauche se préoccupe davantage de questions humaines comme la médecine, la vaccination, l'hygiène, l'éducation, la lutte contre les féodalités en place et les superstitions, mais critique elle aussi Jules Ferry sur les points économiques.


Les grands intellectuels de l'époque étaient favorables à la colonisation, qui permettait selon eux de faire avancer les peuples « en retard ». Victor Hugo défend la politique de Jules Ferry au nom des droits de l'homme ; cela n'a rien d'un paradoxe si l'on suppose que le blanc est « plus en avance » : il a alors un devoir de civiliser, d'apporter l'évolution aux peuples moins développés, comme jadis les Romains aux Gaulois, exemple cher à Ferry). Hugo insiste sur le fait que la colonisation ne doit être que temporaire, et que la France doit savoir s'effacer ensuite comme un tuteur qui a rempli son rôle.
Les lettres des colons d'Indochine font par exemple réglièrement état d'une très grande brutalité des familles autochtones envers leurs domestiques. Il est difficile de savoir quelle était la part de vérité et la part d'idéalisation de l'intervention française dans ces récits.
Voici enfin la partie économique de la harangue citée plus haut. Le caractère économique (véritable source du débat), occupe l'extrême majorité des propos de Jules Ferry, le 28 juillet 1885 :


Le rôle économique de la colonisation selon Ferry
« La concurrence, la loi de l'offre et de la demande, la liberté des échanges, l'influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s'étend jusqu'aux extrémités du monde. C'est là un problème extrêmement grave. Il est si grave (...) que les gens les moins avisés sont condamnés à déjà prévoir l'époque où ce grand marché de l'Amérique du Sud nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l'Amérique du Nord. Il faut chercher des débouchés... [Le passage humanitaire cité ci-dessus est extrait de cette partie du discours] Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d'expansion coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l'Empire, à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous a conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d'expansion coloniale s'est inspirée d'une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu'une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d'abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. (...) Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, (...) c'est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième et au quatrième... »

Les revers politiques


Lâché par les radicaux, Jules Ferry échoue pour la désignation du Président de la République le 3 décembre 1887. Une semaine plus tard, il est blessé d'un coup de revolver par un boulangiste du nom d'Aubertin. Aux élections législatives du 22 septembre 1889, il est battu par M. Picot, puis président du Sénat le 24 février 1893.
Lorsqu'il meurt le 17 mars 1893, le gouvernement décide de lui faire des funérailles nationales, mais sa famille refuse car le gouvernement et Clemenceau en particulier ont cherché par tous les moyens à discréditer Ferry. Il est inhumé dans le caveau de sa famille à Saint-Dié.

Références


Après la Commune de Paris, la fonction de Maire de Paris est supprimée et remplacée par celle de président du conseil municipal de Paris, la réalité du pouvoir appartenant au préfet de police, représentant de l'État. La fonction n'a été rétablie, avec ses prérogatives, qu'en 1977.

Bibliographie


François Brigneau, Jules l'imposteur, préface de Jean Madiran, 2e édition : Éditions Dominique Martin Morin, Bouère, 1983, 180 p.
Jean-Michel Gaillard, Jules Ferry, Librairie Arthème Fayard, 1989, 730 p.
Albert Ronsin (dir.), Les Vosgiens célèbres. Dictionnaire biographique illustré, Vagney (88120), Editions Gérard Louis, 1990, 394 p. (ISBN 2-907016-09-1)
Michel Gaudard de Soulages et Hubert Lamant, Dictionnaire des Francs-Maçons européens, 2005 (ISBN 2-915461-13-9)
René Rémond, Le XIXe siècle

Liens externes

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